Marina Tsvetaïeva
MARS
Ô pleurs d’amour, fureur !
D’eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !
Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet
Refus d’être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d’y vivre
Avec les loups régents
Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.
Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.
15 mars-11 mai 1939.
À BORIS PASTERNAK Roger
Dis-tance : des verstes, des milliers…
On nous a dis-persés, dé-liés,
Pour qu’on se tienne bien : trans-plantés
Sur la terre à deux extrémités.
Dis-tance : des verstes, des espaces…
On nous a dessoudés, déplacés,
Disjoint les bras — deux crucifixions,
Ne sachant que c’était la fusion
De talents et de tendons noués…
Non désaccordés : déshonorés,
Désordonnés…
Mur et trou de glaise.
Écartés on nous a, tels deux aigles —
Conjurés : des verstes, des espaces…
Non décomposés : dépaysés.
Aux gîtes perdus de la planète
Déposés — deux orphelins qu’on jette !
Quel mois de mars, non mais quelle date ?!
Nous a défaits, tel un jeu de cartes !
24 mars 1925.