Nalanda ou la fabrique de l'université
5 extraits de Nalanda ou la fabrique de l’université, Ed. Unicité, 2024, 40p.
Claire Garnier-Tardieu
Quand on entre après la fouille dans le grand hall – ce n’est ni une gare ni un aéroport mais la scène d’un théâtre pour jeunes danseurs bariolés – on comprend que les allées et venues ne se font pas au hasard
C’est un ballet une chorégraphie de la rencontre espérée enfin l’âme sœur le compagnon de la pensée car la musique est de l’esprit brut pas encore encagé entre deux barres mugissantes
À mesure que l’on grimpe dans les étages on voit s’ouvrir cette arène antique où l’on s’assied en cercles concentriques dans des effets de manche et de verdure
Aujourd’hui du haut de la passerelle j’ai joué avec mes mains la partition de vos jeunes vies colorées éparpillées sur les marches et j’ai dansé
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Vous arrivez de l’univers avec vos petits sacs à dos je me brûlerais les yeux à les ouvrir
Gardez vos trésors pour les territoires vierges de la pensée forgez-nous un monde que nous ne verrons pas
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Vous allez me manquer mes pleins et mes déliés mes pleins de vie future déambulant dans la couleur mes déliés de la prison de l’enfance mes délivrés du présent perpétuel audacieusement campés qui assis en tailleur qui debout élancé vers des plans inconnus du réel ces paliers neufs de la pensée
La musique s’élève et vous dansez un attroupement se forme le soleil donne son coup de projecteur vos bras vos jambes sont des fusées nonchalantes sur l’orbite des solitudes et c’est beau
Des amitiés brièvement se nouent l’amour peut-être celui que l’on cherche indéfiniment par ces gestes indéfinis
Je m’arrête avec les badauds mains jointes quel chorégraphe viendra se poser au milieu de vous dans sa cuillère à soupe d’étoiles pour donner le tempo ?
La musique cesse rires embrassades joie d’avoir joué
Je me remets en mouvement vers le reste de ma journée
Bientôt c’est vous qui vous égayerez dans les migrations de la vie
Vous allez me manquer – vos ailes qui me faisaient voler
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Qui a dessiné Nalanda quel géomètre de l’univers en a tracé le plan sur cette terre élue terre qui porterait l’esprit jusqu’aux nuages recueillerait sa pluie bienfaisante
Quel géant à grands coups d’épaules a ouvert ces corridors pour que nos ombres s’y faufilent encore nos pas soudain antiques – circulations circonvolutions du corps et de l’esprit mouvements de tissu frôlements subtils paroles de sagesse joie de l’étude dans une langue commune toute de beauté de secrets ébruités
Le savoir étalé à la vue du ciel dans ces clairières de verdure sept siècles durant
Dansait-on parfois chantait-on l’amour la poésie y avait-il des femmes comme dans l’assemblée du bouddha des appelés d’autres galaxies y faisait-on des enfants de chair et de sang ?
Esprits du lieu dieux-lares emportez-moi dans les volutes de ce temps révolu restaurez ces allées et venues ces chuchotements de haute futaie ces froissements feuillus lancez dans l’espace d’immatérielles fusées à la poussière brillante qui retombe sur ce présent mourant le ravive
Nalanda notre jeunesse aux murs toujours debout le bois a disparu les émaux le feuillage qui faisait de l’ombre dans les patios les pas les chères voix les pensées tissées d’oiseaux et la parole qui resurgit de terre avec les herbes folles pour dire une nuit plus claire que ce jour
Je partirai avant vous c’est écrit en attendant si vous le voulez bien je vous emmène mes systèmes solaires d’étudiants mes constellations de collègues nous qui vivons tournoyons ensemble au même firmament je vous emmène dans le frêle arceau de mes bras plus large que le périmètre des jours des siècles
Nous irons danser sous la lune nager dans l’eau scintillante l’eau tellement vibrante qui n’a jamais cessé d’imaginer de nouvelles créatures aux yeux limpides aux oreilles moulées sur la musique des grands fonds ce battement de poitrine géante qui fait naître et mourir et renaître
Je vous emmène à la fabrique de l’université où les chagrins se déploient suaves en des poèmes infinis que la joie seule peut recueillir et broyer dans son creuset à voix neuves puissantes
Je vous emmène à l’université hors-les-murs où les graffitis s’inscrivent directement sur le ciel il est interdit de désespérer à l’université des cerfs-volants de la pensée fils coupés mémoire du futur
Je vous emmène à la mangeoire de l’université où le foin fait place à la lumière c’est du ciel en barres du soleil fumant dans les assiettes – mangez et que le corps soit avec vous
Je vous emmène au cinéma de l’université grotte aux images qui se livrent des guerres – Zeus le tonnerre Aphrodite l’échevelée Athéna au sein de pierre – qui découpent notre histoire dans le ruban des siècles et rougissent la mémoire ne pleurez pas
Je vous emmène à la présidence de l’université ce fauteuil est le vôtre cette vue cardinale vos visages sont des cadrans solaires vous donnez l’heure au monde
Quels poissons serez-vous dans la mer ogresse quels oiseaux dans les rets du ciel et quelle sera votre magnificence à renaître nourriture sublime dans la chaîne de la vie ?
Je vous emmène au cimetière de l’université où les mortes discourent longuement de leurs cheveux si noirs de leur vie à venir à revenir irriguer leurs veines sèches et cassantes je vous emmène si vous le voulez bien à la source balbutiante de l’université ce jet de lumière qui réécrit les mondes les êtres
à la secousse première