Extrait :
La Festa del Païs
C’est la Festa del Païs
On s’amuse à autrefois
On a ressorti les vieilles batteuses à vapeur
Qui séparent le grain de la paille
À grands crachats de fumée noire et de poussière
Là-bas
On fauche à la main
Encore plus haut dans le temps
Le temps d’avant les banquiers
Avec la faucille
Et les bras
Il en fallait des paires de bras
Pour le foin et les blés
Et l’orge et l’avoine
Tous y allaient
La fleur à la bouche
Hommes
Femmes
Enfants
Il n’y avait guère que les vieillards
Et les impotents
Pour se mettre à la fraîche
Sous les aulnes
Avec les nouveau-nés
Les moissonneurs du futur
Et pour apprécier de loin
Ces grands gestes blonds
Si familiers
Le jet de la botte
Ni ronde ni carrée
Simplement elle
Un peu échevelée
Au bout de la fourche
Jusqu’au sommet de la charrette
Le cheval patiente
En plein soleil
Il aurait l’eau bientôt
Et les faucheurs le vin
Un vin pas si fort qu’aujourd’hui
Le fromage et le pain
Et l’on dormirait bien ce soir
À découvert sur le lit nu
Ils devaient être forts et beaux
Ceux de l’été 14
Leurs muscles arrondis
Les foins étaient finis
Tous les prés alentour
Ressemblaient à la mer
Quand elle est belle et calme
Il leur restait les blés
Et le bois pour l’hiver
− La mer
Qu’ils n’avaient jamais vue
Note de lecture :
Claire Tardieu, Retour au pays, éditions des deux rues, Prix de poésie Histoire et Mémoire, 2021, 43p.
Petit livre sensible qui chante surtout le bonheur de vivre : « La salve du jour/ En pleine poitrine/ En pensant/ C’est le premier matin du monde » à la découverte des paysages de Lozère, peuplé de burons, que l’auteur visite pour la première fois, subjuguée par sa beauté rêche et les hommes qui l’ont façonnée.
Ces hommes, leurs noms sont gravés sur le Monument aux morts. Claire Tardieu sait que « Nous naissons avec tant de fardeaux », qu’il faut vivre avec le passé, si douloureux soit-il. C’est pourquoi, elle s’associe aux morts de la guerre de 14 dans une étonnante communauté sentimentale : « Tu leur ressembles/ Tu détiens/ Leur vie perdue ». Davantage, elle veut les faire revivre : « Qui se rappelle encore/ Vos visages couleur sépia […] J’inventerai vos renaissances […] Vous jaillirez dans le soleil » dans une sorte d’apothéose.
Avec son langage, avec « […] les mots/ [qui] Sont des oiseaux/ Sur nos épaules », elle tente de les faire revenir. Aujourd’hui, les hommes nouveaux sont plutôt des taiseux, mais « Le vin/ C’est leur façon à eux/ D’être poètes », dans leur labeur de tous les jours.
Bernard Fournier